ROMEO / JULIETTE
UN VOYAGE DANS L'OEUVRE DE SHAKESPEARE MÊLANT THEÂTRE ET DANSE
VOIR TEASER 1 / TEASER 2 / TEASER 3
Devenue mythique, l’histoire tragique du couple Roméo et Juliette, qui s’inscrit dans la lignée d’autres couples funestes déjà célèbres comme Pyrame et Thisbé, Héro et Léandre ou Orphée et Eurydice, hante l’inconscient collectif depuis plusieurs siècles. Shakespeare a rendu célèbre le destin de ces deux amants « nés sous des étoiles contraires », parce qu’il a su donner vie et sensibilité à des figures qui incarnent une passion condamnée d’avance par la haine qui sépare leurs familles respectives.
Note d'intention
Où aller pour s’extraire de la réalité ? Quel espace investir pour rêver ? Quel lieu de l’imaginaire pouvons-nous encore construire aujourd’hui ? L’art et la nature semblent nous inviter à la contemplation et au voyage, dans un monde en proie à de profondes turbulences : la rencontre de la nature, de la grandeur d’un paysage et d’une œuvre comme rempart aux folies du monde contemporain. C’est la quête d’un paradis perdu qui amène la metteure en scène et chorégraphe Corinne Mathou à investir le plateau de la Courade et à plonger dans l’œuvre de Roméo et Juliette.
L’œuvre shakespearienne et le Cirque de Gavarnie sont ici un prétexte pour rendre compte d’une quête d’absolue qui habite l’artiste et qui jalonne tout son travail. Recherche de la beauté pour raconter le monde et ses tragédies. Ainsi, la majesté du site de Gavarnie devient la Vérone imaginaire ou deux amants s’aiment parce que cela est interdit, impensable, contraire à l’ordre familial et social. Pour reprendre Preljocaj, « deux êtres s’aiment au nom de l’impossible, lancés dans une fulgurante course à l’abîme qui se moque des obstacles, des conventions ». Une célébration à la vie, un hommage à l’incongruité d’aimer dans un contexte d’affrontement et d’effondrement.
Affrontement familial, de classes, d’appartenance à des clans, des cartels, des religions et des territoires différents. Effondrement intime, sociétal et environnemental, effondrement d’un monde qui n’a plus de sens. Il y a un Roméo et une Juliette dans toutes les couches de la société et ordres institués. Corinne Mathou propose une mise en scène contemporaine aux accents électroniques et baroques mêlant le théâtre et la danse. Empruntant au hip hop et aux arts indiens, elle place le corps de ses personnages au centre des conflits et des désirs et offre des images brutes où la chair habite et structure l’espace. Il s’agit ici de traiter ce mythe dans sa dimension intemporelle tout en questionnant notre rapport à l’amour, aux relations hommes/femmes, à la fête et à cette quête d’absolu et de perdition propre à l’adolescence.
A travers cette pièce, la metteure en scène s’interroge sur le désœuvrement de la jeunesse d’aujourd’hui mais aussi sur sa capacité à désarmer le monde des adultes, à faire surgir un élan violent de joie, d’insolence et de subversion dans un monde qui s’écroule. Et pourquoi ne pas aussi renverser les rôles ? Questionner notre rapport au genre ? Faire de Juliette un véritable garçon manqué, sensuelle et sauvage, qui résiste aux codes sociaux que lui attribue son sexe et son temps ? Faire de Benvolio une femme surnommée Ben, qui aimerait tant les garçons que les filles ? De Mercutio un être androgyne qui se joue des règles ? Cette mise en scène de l’œuvre de Shakespeare propose d’en faire une lecture ouverte qui traite de notre rapport au genre et à la violence. Elle souhaite également parler de l’affrontement social entre deux systèmes antinomiques : le monde des puissants et celui des indigents, précaires et désorientés.
Ici la danse se mêle, s’entremêle et se démêle avec le théâtre et la musique. Elle met l’accent sur les puissances intérieures pour mettre en lumière toute la fulgurance de l’œuvre de Shakespeare. Alliée à la magnificence du site de Gavarnie, il s’agit d’offrir au public une véritable expérience physique et sensorielle. Transporter le spectateur ailleurs, l’inviter à une expérience collective et sensible en le conviant à repenser sa place.
POUR UN THEATRE PHYSIQUE
Le Cirque de Gavarnie, un décor brut
Au milieu des courbes capricieuses des montagnes, hérissées d’angles obtus et d’angles aigus, apparaissent brusquement des lignes droites, simples, calmes, horizontales et verticales, parallèles ou se coupant à angles droits, et combinées de telle sorte que de leur ensemble résulte la figure éclatante, réelle, pénétrée d’azur et de soleil d’un objet impossible et extraordinaire. Est-ce une montagne ?
Espace d’évasion, zone de non contrôle, temple de l’imaginaire, le Cirque de Gavarnie est un lieu suspendu dans un espace-temps autre. Quoi de plus naturel que de représenter l’histoire d’un affrontement entre deux familles dans un lieu issu de l’affrontement entre deux plaques tectoniques, celle de l’Europe et de l’Ibérie ? Représenter les ébranlements d’un couple d’amoureux dans un espace qui s’est érigé en grande muraille à la suite de multiples secousses. Faire une création artistique à ciel ouvert impose de prendre en compte le monde tel qu’il se donne d’emblée. Faire avec ce qui existe. Tout simplement s’arrêter et regarder. La topographie, le temps et l’espace vont devenir les paramètres décisifs.
Il s’agit de faire théâtre de ce monde-là, dans ce monde-là. Pour reprendre Alexandre Koutchevsky, faire théâtre dans ce monde impose de le laisser être, de le prendre comme il se donne, de l’écouter, de le regarder avec toute l’attention poétique nécessaire. Cela requiert du temps de présence, du temps passé à se familiariser avec l’environnement : cette grande muraille de pierre, ses différentes perspectives, ses couleurs, ses odeurs…
Pour Corinne Mathou la question n’est pas d’intégrer le Cirque dans la scénographie du spectacle, mais au contraire de s’interroger sur la manière de penser l’espace dans un tel paysage. Amphithéâtre monumental naturel, le Cirque de Gavarnie s’élève en gradins concentriques encadrés par un « cortège de Géants » comme Le Mont Perdu, Le Pic du Marboré, le Taillon… Tels des Dieux de l’Antiquité, ils nous contemplent dans toute leur splendeur. Corinne y voit l’opportunité de refaire du théâtre une offrande, un don à la beauté de l’immensité.
À l’inverse des mises en scène précédentes, elle imagine un dispositif scénique sobre et épuré au sol pour mieux laisser voir le décor naturel : s’incliner devant la grandeur. Un plateau rectangulaire, dans une aire de jeu qui prend en compte les arbres et les pierres. Des comédiens qui circulent et se préparent à vue, à l’orée de talus et de buttes naturelles. Des personnages qui s’aiment et se défient dans un paysage propice au déferlement des forces qui les animent. Jouer Roméo et Juliette à Gavarnie, c’est resituer l’action humaine dans un tout plus large, un tout infini qui nous dépasse.
Mais quelle montagne a jamais présenté ces surfaces rectilignes, ces plans réguliers, ces parallélismes rigoureux, ces symétries étranges, cet aspect géométrique ? Est-ce une muraille ? Voici les tours en effet qui la contre-butent et l’appuient, voici les créneaux, voilà les corniches, les architraves, les assises et les pierres que le regard distingue et pourrait presque compter, voilà deux brèches taillées à vif et qui éveillent dans l’esprit des idées de sièges, de larges bandes de neige posées sur ces assises, sur ces créneaux, sur ces architraves et sur ces tours ; nous sommes au cœur de l’été et du midi ; ce sont donc des neiges éternelles or, quelle muraille, quelle architecture humaine s’est jamais élevée jusqu’au niveau des neiges éternelles ? Babel, l’effort du genre humain tout entier, s’est affaissée sur elle-même avant de l’avoir atteint. Qu’est-ce donc que cet objet inexplicable qui ne peut pas être une montagne et qui a la hauteur des montagnes, qui ne peut pas être une muraille et a la forme des murailles ? C’est une montagne et une muraille tout à la fois ; c’est l’édifice le plus mystérieux du plus mystérieux des architectes ;c’est le Colosseum de la nature ; c’est Gavarnie.
Victor Hugo ( 1843 )